Miss Valium
Enfant, j’adorais venir à la boutique de Nicole. Brocanteuse, elle vendait des objets chinés, des bijoux, des bibelots, des vêtements anciens, de la dentelle, de la pacotille. J’essayais tous les chapeaux devant le miroir ovale, rêvais devant les bagues et les sautoirs en me demandant à qui ils avaient pu appartenir, piochais dans le paquet de mini Mars dans l’arrière-boutique. Ça sentait la cigarette et la poussière. C’était le repaire de ma grand-mère.
Orpheline à 7 ans, mariée et maman à 19 ans, elle n’était pas faite pour une vie conventionnelle de mère de famille bourgeoise. Elle aimait le tennis et le ski, les voyages, les hommes, ses chiens et ses Marlboro. Elle parlait à tout le monde et avait un goût certain pour la provocation.
En mai 1968, loin de l’effervescence du quartier latin, elle perd sa mère et perd pieds par la même occasion. C’est le début des symptômes, des frasques, des nuits noires, des idées fixes. Les polarités s’éloignent, se combattent, s’affrontent, cohabitent : euphorie, dépression, euphorie, dépression. Elle était belle, ingérable, malade, attachante et drôle. Douloureusement libre.