Se faire tirer le portrait comme en 1900

Rien n'est certain. La vie est pleine d'incertitudes, pleine de surprises - et c'est là sa beauté.

Osho


Ça faisait plusieurs années que je voulais me faire tirer le portrait. Mais pas n’importe comment.

J’avais repéré ces plaques photographiques magnifiques en noir et blanc, très XIXe siècle, avec des contrastes saisissants, des noirs très noirs, des regards qui jaillissent de la photo, une impression d’éternité.

J’ai finalement appris que ça s’appelait du collodion humide. Une technique rare et ancestrale qui nécessite un matériel d’époque, notamment une chambre photographique.

Après quelques tentatives ratées, j’ai fini par tomber sur Monsieur Collodion. Sans trop savoir qui se cachait derrière ce pseudonyme, je lui envoie un message auquel il répond aussitôt. Coup de chance, il vit à Marseille comme moi. Rendez-vous est donc pris.

Je me pointe un mercredi très venteux chez lui, à deux pas de la place animée de la Plaine.
Le mistral s’infiltre partout et je me dépêche de monter les cinq étages.
Lorsque la porte s’ouvre, avant même que je puisse dire bonjour, un chien énorme me saute dessus (un pitbull mais garde mon sang-froid), suivi d’un chat. Un homme au sourire radieux me fait entrer. Il ressemble à un surfeur décalé, short et claquettes Lidl aux pieds. Il m’accueille chaleureusement en s’excusant pour l’excitation incontrôlable de ses colocataires poilus.

L’appartement est décoré avec soin, et chaque objet semble avoir une place particulière. Des tableaux colorés, avec des sortes de vagues psychédéliques qui donnent une impression de mouvement attirent mon attention. On a envie d’entrer dedans. Le photographe est aussi peintre visiblement.

Né en Équateur, il a vécu à LA, Berlin, Paris, Lyon. Il me raconte qu’il vient de s’installer à Marseille, attiré par la mer et la lumière. Il a a l’air d’avoir la bougeotte, et ne sait pas si il va y resté amarré longtemps. Il verra. Il prépare du thé avec ses mains tâchées par le nitrate d’argent.

On discute de la ville. Un album de Massive Attack tourne en fond. Son chat en profite pour aller s’installer sur la chaise sur laquelle je vais devoir poser. Les lumières des spots le réchauffent.

Le set-up

Photo © Monsieur Collodion

L’appareil est massif, en bois de cerisier, majestueux. Il disparaît derrière pour se concentrer.

Le cadre défini, il prépare la plaque. Le moment est solennel. Il n’y aura qu’une seule prise. Je prends place, relève le menton, fixe l’objectif et arrête de respirer.

Swouch !

La lumière est si intense que je ferme les yeux et ai du mal à les rouvrir. Ça y est.

Nous partons dans la salle de bains pour plonger la plaque dans plusieurs liquides et pour pouvoir voir apparaître l’image en négatif. Le photographe se mue en alchimiste.
Dernier bain. Mon image disparaît…pour réapparaître.
Une odeur d’éther vient convoquer des images d’enfance.

J’aime ce temps qui s’étire et la patience que requiert ce travail de développement. Il y a quelque chose de sacré, comme une cérémonie.
Je pense à nos ancêtres pour qui une photo devait être un sacré cérémonial, proche de celui-ci. Une célébration.
C’est à l’inverse de ce que nous vivons aujourd’hui avec nos téléphones qui photographient avant même que l’on regarde, comme des boucliers, des paratonnerres, produisant en continue des images qui nous rassurent et témoignent : oui j’ai bien vécu cela. J’étais là.

La première est ratée.
La seconde est bien.
La troisième sera parfaite.

Quand enfin la photo est fixée, je suis épatée. Mon visage est là, fidèle, avec des ombres, des imperfections, un grain de peau, des yeux où percent quelque chose de vrai. C’est moi. C’est indéniable.

La voix de Dave Gahan entonne « Enjoy the silence » sur la platine.
Il est temps pour moi de partir.